Notre histoire : La RETIRADA

Si la traduction de l’espagnol signifie « Retraite », le terme de Retirada est quelque peu léger pour désigner ce qu’ont pût endurer ces personnes lancés sur les routes et chemins pour fuir malgré eux leur pays. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, en 1928 plus exactement, le dictateur espagnol Franco détient d’immenses pouvoirs et la population s’inquiète de plus en plus, entre autres pour ses libertés. Ce sera l’une des plus importants exodes de cette partie de l’Europe.

En deux semaines, 100 000 réfugiés vont passer le col d’Arès, à Prats de Mollo où ils seront arrétés. Puis se sera autour de tous les autres points de passage y compris le col du Perthus, comme la route de Cerbère qui verra passer les foules.

Tout s’accélère dès le lendemain au point d’inquiéter les autorités. L’école primaire de Prats de Mollo est réquisitionnée, mais il manque rapidement de place. Par crainte de débordement, les gardes mobiles et les tirailleurs sénégalais sont envoyés en renforts. Dès le 29 janvier, des convois se forment pour partir vers le camp de triage du Boulou.

Les Camps de concentration

Le 31 janvier, le ministre de l’Intérieur se rend sur place pour assister à cet exode humanitaire. Quatre « camps de concentration » verront le jour dans la vallée du Tech. Les abris sont construits en branches, feuilles. Tout ce qui peut servir est récupéré. Les arbres environnants les camps sont abattus pour faire du bois de chauffage. On en viendra même à brûler le matériel scolaire et les crosses des armes à feu pour se protéger du froid.

Le 13 février, les soldats de Franco ferment officiellement la frontière. 35 000 réfugiés sont alors recensés dans les camps de Prats-de-Mollo, et tout autant le sont dans les autres camps du département. La nouvelle vague de froid qui s’abat sur la vallée pousse les autorités locales à ouvrir cette fois-ci, tous les lieux publics, les églises, les écoles. Elles réquisitionnent les granges, les appartements, les garages…

Il faudra attendre la fin du mois de mars pour que les camps soient définitivement fermés, mais cet hiver fut considéré comme un calvaire par ses espagnols fuyants Franco.

Dans le même temps Cerbère voit aussi arriver un nombre considérable de réfugiés. Le même sort leur fut réservé, dans des camps créés de toute pièce sur la plage d’Argelès-sur-mer. Si le froid ne les a pas autant touchés que leurs compatriotes laissés à Prats-de-Mollo, ils durent toutefois subir les affres des épidémies, du manque de nourriture. 250 000 personnes passeront par ce camp durant l’hiver 1939. Et un autre camp, celui de Saint-Cyprien, accueillera à lui seul, 90 000 personnes.

À Saint Laurent de Cerdans, autre lieu de passage, 70 000 réfugiés arrivent au village. 5 000 ont pu être logés sur place, en particulier dans une fabrique de sandales transformées en dortoir. Au total, en quinze jours seulement, c’est plus de 450 000 personnes qui arrivent dans le département. Afin de canaliser le flot de républicains, les autorités les firent donc passer de camps de concentrations locaux vers d’autres plus vastes, comme le camp Joffre situé dans la plaine, qui connaîtra les premières parties sombres de son histoire.

Un drame humanitaire sans précédant.

Les Pyrénées-Orientales, mais aussi la France entière sera débordée par ce drame humanitaire. Bourg-Madame, Prats de Mollo, Latour-de-Carol, Saint-Laurent-de-Cerdans, Amélie-les-Bains, Elne, Argeles sur mer, Saint-Cyprien, Matemale, Canet, si tous ces villages ont désormais inscrit ces sombres lignes à leur histoire, d’autres villes les ont rejoints, bien au-delà des frontières de notre département, au delà même des frontières de notre pays.

Les séparations de famille au cours de l’exode, puis de la répartition des réfugiés dans toute la France sont nombreuses. Plusieurs enfants se retrouvent seuls, sans aucun de leurs parents. Les couples et les familles séparées sont nombreux. De nombreux journaux offriront leurs services pour permettre les retrouvailles, ou au moins un échange de nouvelles.

Bon nombre de ces familles est aujourd’hui installée dans la région. Leurs enfants ont grandi, sont devenus français et le Camp Joffre est en grande partie en ruine. Il a été transformé en lieu de souvenir. Un monument commémoratif dédié aux réfugiés espagnols a été érigé sur la plage d’Argelès-sur-mer, et il nous reste qu’à espérer, avoir tiré une leçon d’humanisme de cette triste période de notre histoire.

sources : pyreneescatalanes.free.fr
photographie : pcfbalaruc.over-blog.com

*

 

« Il était devant moi, livide, assis sur une table dans un cabanon situé près de Cervia de Ter sur la route de Port-Bou. Près de lui, sa mère Ana, son frère José, Matea sa belle-soeur. Je ne savais pas qu’après tant de kilomètres sous la neige, épuisée par des heures et des heures de marche, j’allais passer un moment en compagnie du célèbre poète Antonio Machado qui mourra deux mois plus tard dans une chambre d’hôtel à Collioure. Il s’est écarté pour laisser une place à ma mère et a récité le poème qu’il avait dédié en 1936 à Federico Garcia Lorca, « Le crime a eu lieu à Grenade » :

« On le vit, avançant au milieu des fusils
Par une longue rue,
Sous les étoiles, au point du jour
Ils ont tué Federico
Quand la lumière apparaissait… »

José Fort, journaliste

One Thought to “Notre histoire : La RETIRADA”

  1. Pedro

    En quinze jours le département double sa population, ce fut un drame qui ne pouvait être évité, malgré toutes les critiques, et quelques mouvements d’humeur bien compréhensibles saluons la générosité des catalans du nord qui ont malgré tout fait face à un exode sans précédent et heureusement jamais renouvelé.

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